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Viol en Première Page

Dernière mise à jour : 7 juin

Mercredi 22 mai, dernier tiers du festival. J’étais épuisé, dernier film de la journée. Je ne connaissais que très peu le travail de Marco Bellocchio, n’ayant vu que Les Poings dans les Poches, que j’avais apprécié, sans être pour autant transcendé. Ce qui m’avait attiré dans cette salle ce jour-là, c’est ce titre. Viol en première page. S’en dégageait une brutalité sans nom. Et bien que terriblement fatigué, je m’attendais à être secoué. Mais en aucun cas, avec un titre pareil, je ne me serais attendu à un véritable pamphlet politique.


Les révoltes secouent l’Italie. Jamais autant de partis ne se sont affrontés pour obtenir la gouvernance du pays. Et au sein de ce climat explosif, des journalistes se battent pour asseoir l’hégémonie d’une politique conservatrice. Le viol et meurtre d’une jeune fille leur donne l’occasion de faire se dresser les consciences du peuple envers leurs ennemis jurés : les communistes.


J’ai passé la première demi-heure dans le flou total. Les personnages sont troubles, à l’image de leurs motivations. Je n’arrivais pas à dire de quel bord était le film. Révolutionnaire ou fasciste ? Dénonciateur ou complaisant ?

J’ai très vite fini par le savoir.

Tout y est question de manipulation. Manipulation des faits, manipulation des mots. On y suit différents journalistes et témoins dans un semblant d’enquête policière. À travers leurs discussions se dévoile une hiérarchie, basée sur la connaissance. Les naïfs n’ont aucun pouvoir et subissent, comme le journaliste débutant à qui l’on donne sa chance, mais qui n’a aucune conscience de la portée politique de l’affaire, et ceux qui possèdent la moindre information l’utilise, la déforme, pour faire valoir ses propres intérêts, comme le patron du journal, être tellement cynique qu’il en devient terrifiant.


Là où le récit devient vite étourdissant, c’est dans sa résonance avec notre époque. S’il se déroule en Italie des années 70, on pourrait très bien le transposer à la France de ces dernières années. Où les médias n’ont plus rien d’indépendants. Où la vérité n’a plus que le sens que les plus puissants choisissent de lui donner. Où chaque nouveau fait divers intensifie un peu plus le débat identitaire et idéologique.


Il y a quelques jours, j’ai regardé le débat des candidats français aux élections européennes. Les minutes passaient, et j’étais ramené de force vers « Viol en Première Page ». Des journalistes aux candidats, des tournures de phrases aux gestuelles. De par le choix de la chaîne pour le diffuser. Ça sonnait faux.


Marco Bellocchio a su avec brio retranscrire ce sentiment de paranoïa qui prend à la gorge dès que l’on commence à s’intéresser au pourquoi du comment vis à vis de la politique. Il a repris les codes du film policier, où tout le monde a l’air suspect, et a enlevé la partie rassurante du genre : la résolution de l’enquête. En résulte une œuvre bien sombre, bien trop réaliste pour qu’on puisse la qualifier de plaisante. Mais marquante, et je dirais même importante. Dommage que, comme l’a déclaré son réalisateur, présent lors de la séance, les gens l’aient totalement oubliée.


Raphaël Massoua I

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