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Scénarios : Adieu et à plus tard

    Nous sommes tous des amateurs d’art ici, et donc je ne vous apprendrai certainement pas qu’il est une chose très douloureuse de voir un artiste décéder et laisser derrière lui une œuvre inachevée. Mais Godard, étant bien décidé à partir de ses propres termes, s’est donné le temps nécessaire pour nous laisser ici non pas un de ces piliers à moitié construits, mais bel et bien son œuvre finale officielle et parfaitement complète. Son ultime création, son dernier roulement de tambour avant que le silence ne se fasse. Un projet commencé pour cette unique intention qui se mena jusqu’à la dernière nuit de l’artiste, la veille de sa disparition.

Ce film, c’est Scénarios.



    Scénarios, originalement intitulé sobrement Scénario s’associe parfaitement avec la création précédente du réalisateur, son dernier long-métrage Le Livre D’Image, les deux étant des films-collages à multiple parties (à cette petite niche s’ajoute aussi son travail épisodique d’Histoire(s) du Cinéma, de 1998). Une simple palette d’expériences d’une personne dont on pourrait mettre la photo dans un dictionnaire sous le terme « Expérimentation ». Encore très avant-gardiste dans le milieu du cinéma d’aujourd’hui c’est un genre qui remonte et recolle divers images et audios en simultanés en un patchwork audiovisuel, une idée qui se reflète quand on connait, et qu’on a en tête les cahiers/classeurs faits-mains que Godard créait pour utiliser comme carnet de création et storyboard. Bien que le film se composait originalement de 6 parties et était surement prévu comme un long-métrage, le produit final a dû se contenter d’une longueur réduite et possède deux parties distinctes avec des incipits similaires : ADN et IRM. Des abréviations qui pourraient être associées avec plusieurs contrastes : la matière organique et la machine, la vie et la maladie, la création et la dégénérescence…


    Scénarios n’est pas un film facilement regardable, surtout si on l’approche avec un esprit fermé et un désir de cohérence évidente. Godard vous giflerait certainement lui-même si c’est le cas. Les images montrées en succession varient et sont souvent dérangeantes et pleines de sous-entendus (L’homme sans visage tenant une marionnette, celui qui pointe une caméra droit vers nous, les non-chevaux…) et les sons dépassent fréquemment les uns sur les autres en cacophonies, ou deviennent strident, notamment la partie IRM qui est hantée pour des raisons évidentes par un ronronnement constant dans la chaîne droite de l’audio (le film joue sur ses effets de son ambiant très bien) et des bips réguliers et si assourdissants que je les entend encore clairement dans mon esprit. Presque tout est extrait de films, de Godard ou d’autres cinéastes avec les vidéos et extraits sons qui se décalent, se mélangent et s’entrechoquent. ADN semble présenter une pensée sur l’être, les cultures de l’esprit mais je pense que cela peut dépendre de la première idée qu’une personne a dans la tête en le regardant. Tout cela a été crée avec une idée précise, mais chacun y verra ce qu’il pourra.


    Le ou les messages de base restent cependant visibles sur certains abords. Une opinion que Godard exprimait souvent dans ses films était la présence et l’importance de la violence dans le cinéma, présentant le septième art comme “un théâtre pour mettre en scène le meurtre”. Et comme pour Le Livre d’Image, la partie IRM comporte une partie pleine de plans de morts au cinéma, assez sanglantes et oppressantes lorsqu’on les accompagne au son strident de la machine et d’une parole répétée sur les dernières visions d’un homme avant sa mort…

La troisième et dernière grande source de cette fresque n’est autre que le créateur lui-même, que l’on entend ressasser une thèse sur le fait qu’il est préférable d’utiliser chevaux plutôt que des univers pour pointer que les non-chevaux sont des non-univers. Du moins je doigt- je crois comprendre pardon. Ce petit segment reparait à la fin de chaque partie, sans jamais avoir vraiment de fin. En soi il est bien entendu assez difficile de distinguer quelles parties ont été coupées ou retravaillées pour être réinsérées dans le délai de 18 minutes mais cela semble clair qu’on a là un extrait sans rattachement, si ce n’est peut-être un condensé fragmenté de l’intention originale de Godard, comparé à ce qu’on a vu dans le film annonce (que je ne couvrirai pas ici). Peut-être cela explique mieux le changement subtil de titre, d’un Scénario concis à une mosaïque qui a perdu de ses formes et contextes pour sembler plus comme des Scénarios séparés. Peut-être ai-je tort, il y’a encore un million d’interprétations possibles, le film progresse, le collage se déroule, la voix blatère sa thèse cognitive et-



Le voilà. Le créateur. L’Homme si souvent derrière la caméra, enfin assis devant pour le tout dernier plan de sa vie, comme pour plus ne se cacher, c’est l’épiphanie du travail, nous rencontrons enfin l’interlocuteur face à face après tous ces dialogues où il nous était invisible. Il ne nous regarde pas. Il est trop concentré sur sa lecture, le dernier problème à démêler avant le grand sommeil. Et une fois cela fait, il pose son carnet, se lève légèrement et son regard croise le nôtre. On est là avec lui. Il est là avec nous.

Ok.



C’est fini.

Godard est mort maintenant. Il n’y aura plus d’expériences. Plus de meurtres. Plus de collages. Plus d’éléments fondamentaux. Plus de ses odyssées. Et pourtant, il était si près à ce simple moment. Pas un rôle, pas un acte, lui et nous, hors de tout film. Le simple interstice avant que la caméra ne coupe.

Et maintenant c’est fini. La seule chose de lui qu’il nous reste c’est ce petit cadeau « complet » qu’il a laissé comme signe d’adieu, et tous les autres. Alors quoi, tu étais trop avant-gardiste pour juste dire au revoir ? Trop génial pour un simple signe de la main avant de disparaître ? Si l’univers est un doigt, est-ce que je te reverrai au prochain applaudissement ? Au prochain poing levé ? C’est vraiment dégueulasse d’être aussi doué, tu sais. Jusqu’à la fin tu auras été trop en avance sur nous. Alors j’imagine qu’il est reparti dans son futur. Et nous d’ici là, on a des histoires. On a des vagues, vieilles et nouvelles. On a des légendes, et on a des Scénarios, les centaines que tu nous a laissés, et les milliers que tu as emporté. On arrivera à se débrouiller d’ici que l’on se revoie tu crois ?

Ok.

- Antonin Cendre

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