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Quatre Nuits d'un rêveur ou l'idéalisation de l'amour


QUATRE NUITS D’UN RÊVEUR - Robert Bresson, 1971


“Il n’y a rien à regretter, ce que j’ai perdu c’est un zéro parfait.”

Cette phrase qu’annonce Jacques, jeune homme d’une vingtaine d’années à Marthe, symbolise une désillusion forte présente dans ce film : celle de l’amour. L’amour idéal est perdu car il n’a jamais vraiment existé que dans l’esprit de son auteur, Jacques.

En effet, comment un imaginaire peut-il nous manquer ? Car le rêve se trouve bien loin de la réalité. Nous parlons souvent de rêver la nuit, alors que nous sommes endormis, mais qu’en est-il des rêveries du jour, celles dont nous sommes consciemment les auteurs, celles que nous désirons au plus profond de nous ? 

Avec ce film romantique aux soupçons dramatiques de 1971, Bresson nous transporte dans une réalité parallèle, celle des rêveurs, celle de l’imagination et du désir. Jacques ne vit pas, il espère. Il invente. Comme le ferait un écrivain avec sa feuille et son stylo, il conte ses histoires à sa radio, de femmes et de romances, qu’il change au gré de ses rencontres. Ses enregistrements se transforment en une sorte de seconde version de sa personne. Lui, l'être réel, eux, l’imaginaire rêvé. 


C’est avec une douceur sans précédent que Bresson nous plonge dans un univers calme, où le silence règne et les bruits environnants sont étouffés, pour laisser place à un dialogue aux semblants neutres. Ode à Paris et à la nuit, Quatre Nuits d’un rêveur signe une lettre d’amour parfaite à cette ville et son fleuve, la Seine, car la majorité de l'action a lieu à sa proximité. Alors que Jacques rencontre Marthe sur le Pont Neuf à Paris, le lieu “idéal” de l’amour, elle est pourtant sur le point de se suicider. L'hésitation, montrée très souvent au cours du film, est présente chez Jacques. Est-elle en danger ? Doit-il intervenir ? Finalement, son choix est le bon car il la fait changer d’avis. Ce ne sont pas forcément ses paroles qui touchent la jeune femme, mais plutôt son geste, simple, mais créant un vrai contact entre eux. Bresson nous permet de contempler ces gestes de mains tout au cours du film, au fil de gros plans sur des doigts enlacés, des mains hésitantes ou entrant en contact avec le corps. C’est une poésie du toucher et de la sensibilité. Car nos mains sont des mécanismes, elles font l’action. Sans celle de Jacques posée sur son bras, Marthe aurait peut-être sauté dans le fleuve, laissant ses tourments derrière elle.


Dans la continuité du langage des mains, le corps est lui aussi mis sur le devant de la scène, de façon parfois sensuelle, ou plus naturelle. On y retrouve ce coté artistique des corps nus, mais aussi cette acceptation de l'autre et de soi même.


Les quatre nuits passent tour à tour, chacune annoncée et le lieu reste le même. Le rythme est lent mais n’en devient pas lassant, dans l’attente de savoir comment ils se retrouverons la nuit prochaine. La rencontre des deux amants est brève mais se fait dans la compréhension mutuelle. Ils se dévoilent l’un à l’autre, semblant totalement opposés. Jacques vit seul avec ses rêveries dans son appartement, entouré de ses peintures, soulignant encore plus sa vision idéaliste et romanesque. Marthe, elle, vit avec sa mère, dans une maison ordonnée, ou une pile de livres nous est montrée. La peinture est encore une invention de toute pièces de Jacques, qui ne sont d’ailleurs pas toujours terminées car il ressent le besoin de peindre dès qu’il croise une femme qui lui plait. Cet inachèvement est retrouvé dans ses rêveries perdues, comme il le dit mais qui ne peuvent pas être regrettées. Le livre est pour Marthe un symbole plus concret, imposé, qui dresse un cadre sans pour autant l’enfermer dans une vision des choses. Elle est d'ailleurs éprise d'un homme se révélant être un lecteur avéré, insinuant une part de sérieux en lui qui n'est pas toujours véridique.

Nous avons là à faire à un film se voulant contemplatif et poétique. Rien n’est exubérant. Nous avons comme l’impression de nous retrouver face à une œuvre d’art au musée, et que nous la regardons prendre vie. Mais en dehors de ce portrait que l’on nous offre, nous ne savons pas grand-chose des personnages qui y sont représentés. Ils sont juste pris à un moment précis de leur vie, écarté d'un contexte plus large. Certes, leur passé est survolé mais nous apprenons seulement ce qu’ils nous racontent, et ce qu'ils vivent durant ces quatre jours, ces quatre nuits. La simplicité de cette œuvre n’est donc pas à son désavantage. Car c’est avant tout un film que l’on contemple, que l'on observe. Certaines images peuvent nous toucher ou nous marquer. Pour ma part, la scène dont je me souviendrait particulièrement, c’est lorsque Jacques se roule dans un champ de fleurs, au tout début du film. Peut être aussi parce que cette scène détonne avec le reste du film, capturant une atmosphère générale plus sombre et bleutée, alors qu'ici, la rêverie de Jacques prend le dessus sur la nuit et le désespoir.


Au-dessus de tout, l’amour est représenté dans Quatre Nuits d’un rêveur comme une illusion, ou même une désillusion. Il va, il vient et rien n’est sûr. Sa vision ne reste pour le moins pas négative, car on comprend que c'est le personnage de Jacques qui est un éternel idéaliste. De plus, le romantique rythme le film, à travers des airs de guitares hippies et doux ainsi que les arts comme le cinéma et la peinture, auxquels les personnages sont confrontés au cours de leurs balades ou dans leurs vies quotidiennes. Si l'obsession de Jacques peut sembler quelquefois déplaisante et étrange, on retrouve dans ce film selon moi un portrait moderne de la jeunesse et de l'amour. C'est une illustration de ce qu'il pourrait représenter dans notre société d'aujourd'hui, alors que nous sommes entourés de livres, films, œuvres et tout autres médiums nous dictant comment et pourquoi aimer.




Clara Yon



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