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Les Années Déclic, Raymond raconte Depardon


Les Années Déclic, Raymond Depardon, 1984.



Se confier à la caméra. C’est un jeu auquel Raymond Depardon se prête en 1986 dans son court métrage New York, NY. Oscarisé, les murmures incertains du cinéaste touchent et plaisent. C’est un exercice qu’il prend plaisir à effectuer à plusieurs reprises, se méfiant de la complaisance et de l’autosuffisance, clé de la durabilité. Sa stratégie, plus qu’efficace, le propulse comme l’un des photographes les plus renommés du siècle dernier et d’aujourd’hui. Derrière l’appareil photo mais aussi derrière la caméra, c’est en tant que cinéaste documentariste qu’il s’est affirmé au fil des années, avec notamment onze films présentés à Cannes. Rien que ça. 


Ainsi, pour une ultime montée des marches, appareil à la main, Raymond Depardon replonge 40 ans en arrière avec Les Années Déclic, témoignage modeste et pudique d’un chasseur d’images.


Les Années Déclic, c’est vingt années en une heure sept, c’est raconter une vie en image. La critique semble alors délicate: comment distinguer cette autobiographie picturale à l’homme qu’elle incarne? Toucher à l’un impliquerait l’autre? Là est tout l’enjeu de l’exercice.

Car oui, il y a avant tout le personnage. 

Le bavard qui, du haut de ses 81 ans, voit d’un œil enjoué mais critique le jeune homme qu’il était.

L’observateur qui nous ouvre les portes de son intimité, telles celles de l'hôpital psychiatrique qui débute le film, avec une distance solennelle, presque froide.

L'innocence qui, capturé entre les quatre coins du négatif, se vêtit d’un large imperméable et tient entre ses mains son précieux appareil.

Ces trois figures se mélangent et n’en forment qu’une, attachante et auto-critique, laissant des spectateurs attentifs et libres de jugement.



Alors ce film dans tout cela, qu’en est il?

Deux projecteurs, un visage en clair obscur, des photos qui défilent. Le cadre est épuré et minime, seul l’essentiel est présent. C’est un peu à l’image des clichés du photographe, de sa ferme d’enfance, en passant par les vedettes bondissantes, jusqu’aux témoignages de guerre. C’est aussi le cas des rares extraits vidéos qui s'entremêlent à la narration. Un passage quasi onirique instaure une autre temporalité, contemplative, que ce soit de la beauté de la nature désertique mais aussi face à l'effroi de la violence humaine, de la mort.

Face à la gravité, c’est la légèreté du jeune Raymond Depardon qui contrebalance: ce dernier se rassure d’avoir pu récupérer ses images tandis que d’autres ont péris non loin. 

Le commentaire, qui berce le film, interroge. C’est avec retenue et hésitation que l’homme analyse son œuvre, de manière quasi journalistique. Surement une habitude documentaire.

Emporté par sa profession, sa vie elle-même ne serait plus qu’un photo-reportage? Il donne en tout cas une impression de détachement, comme s' il étudiait le travail d’un autre. Peut être cela traduit il sa pensée, il n’est plus celui que vingt auparavant il était. Ce commentaire court et assez superficiel de chaque clichés incite alors les spectateurs, curieux et frustrés, à en chercher davantage. Nous examinons les photos avec minutie, à la recherche du détail caché. Mais rapidement, nous acceptons de nous contenter de l’essentiel qui est à la fois dit et montré. 



De droite à gauche défilent les photos, certaines laissées muettes. Souvent amusante, cette absence traduit tout de même une problématique majeure que partagent photographie et cinéma: ce que l’on montre et ce ce que l'on cache, ce que l’on dit et ce que l’on tait.

Cela est d’autant plus délicat lorsque l’on traite d’une existence même, comment décider de supprimer des instants qui ont été vécus et partagés?



Aucune nostalgie n’est donc trahie, cela n’est pas le propos. L’homme se détache de l’image, passant d’une histoire sans photographie à une photographie sans histoire. L’image se suffit-elle à elle-même? Tant de questions sont laissées sans réponse, même si jusqu’à la fin on espère encore un dernier aveu:


“Non non, ne coupez pas!”


C’est au final davantage par son retour humble et retenu, que par les archives photographiques elles mêmes, que le portrait d’un homme touchant et attachant est dévoilé aux yeux de tous.

Le cliquetis des images qui défilent laissent ainsi place à un fond noir, il insiste, essaye encore, le noir toujours.












Clara Esslinger



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