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Johnny s’en va-t-en guerre

Dernière mise à jour : 21 mai

Johnny était un jeune homme des plus simples, des plus heureux, des plus naïfs.

Johnny s’est engagé, s’est retrouvé sur le front, s’est fait toucher par un obus sans même se battre.

Johnny n’est plus qu’un tronc et un bout de cervelle. Il n’est plus capable de penser, c’est inscrit noir sur blanc dans sa fiche de soin. Une carcasse que l’on garde en vie. Pour la science, pour voir.

Et pourtant, Johnny rêve. Johnny comprend ce qui se passe. Johnny se sent seul, et souffre de cette absence du moindre contact.


Il y a de ces films qui ne peuvent que blesser ses spectateurs, quand bien même ils s’attendraient à être attaqués. L’unique film de Dalton Trumbo est de cet acabit. L’auteur américain a fait parti des Dix d’Hollywood, un groupe d’artistes martyrs de la chasse aux sorcières du maccarthysme. On aurait alors pu s’attendre à un film empli d’une certaine fureur révolutionnaire. Ou de misérabilisme, ou de pessimisme, ou de pure haine. Et pourtant, nous voilà face à un récit ouvertement anti-militariste, qui aborde son thème sous l’angle de la sensibilité. Pas de général tyrannique ou de caporal persécuteur. Seulement la douce psyché de Johnny face à la froideur administrative des militaires. On nous expose la cruauté avec calme, le raisonnement des antagonistes se construisant autour de phrases très simples n’appelant pas à la contradiction. Mourir au combat, c’est un honneur. Johnny ne pense plus.

Et tout le film se construit autour de cette réciproque silencieuse, solitaire, seul rempart à toutes ces fausses vérités. Pourtant, bien que motivées par une fureur d’exister, les maigres actions de Johnny sont des coups d’épée dans l’eau.


On peut décomposer le récit en plusieurs quêtes.

Comprendre ce qui se passe. S’occuper. Se repérer dans le temps. Communiquer. Tout cela en combattant des souvenirs parfois doux, souvent douloureux. Germaine Dulac en avait parlé, un film sur un homme se débattant avec sa psyché peut-être des plus passionnants. Mais quand vient l’instant où l’on est absorbé dans cette même psyché, il n’y a plus de passion, plus de fascination pour la maîtrise esthétique de l’oeuvre. Subsiste la douleur. L’empathie, à esquiver, et voilà que les sensations se mêlent aux sentiments de Johnny, donnant alors naissance en mon for intérieur à une symphonie, un requiem composé de colère, de douleur, de volonté brisée. Pour moi, c’est une scène en particulier qui a fait pencher la balance vers une émotivité presque ingérable.


Johnny rêve. Il est dans une prairie peuplée de ruines, en pleine nuit. Une lueur artificielle, blanchâtre éclaire l’ensemble. Son amour perdu est là, avec lui. Il est entier. Jeune, beau. Il déclame son amour. Et parle du temps. Qui ne passe plus, où subsiste pour l’éternité sa flamme et sa tendresse. Il y a dans son regard une telle sincérité qu’on en oublie tout le kitsch de la situation. Sans la guerre, son regard n’aurait été si triste. Peut-être aurait-il eu une vie heureuse. Ou au moins, une vie remplie.


Johnny n’a pas une personnalité très marquée, à l’image de son prénom, et c’est cela qui rend la chose encore plus tragique. C’est une page vierge sur laquelle on aurait pu écrire, au lieu de la déchirer. Et surtout, cette normalité, cette platitude presque, qui me déroutait au début, je l’ai trouvé logique et réfléchie une fois le film clôt. Il représente la jeunesse prise dans les tourments de n’importe quelle guerre. L’histoire de Johnny est universelle, peu importe le type de blessure, peu importe la nature du conflit. Pas besoin d’être un homme tronc pour souffrir de la violence. Histoire de martyr intemporelle, Johnny Got His Gun est plus qu’un excellent film, c’est une œuvre importante, qui aurait mérite à devenir inévitable.




Raphaël Massoua II

3 commentaires


sofia06800
26 mai

Critique pertinente et très bien construite ! Bravo

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morgandindia
23 mai

Analyse très sensible. Bravo pour cet hommage. Ce film bouleverse toujours, un classique inoubliable.

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Patrick bonnet
Patrick bonnet
21 mai

Bravo pour avoir partagé ta perception de cet excellent film que j'ai vu à sa sortie. J'ai retrouvé les mêmes émotions quelques décades plus tard. Patrick

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