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Gilda, film noir qui vire au rose


Un casino clandestin, une utilisation réfléchie du noir et blanc, un triangle amoureux où règne la haine et la peur, un monopole dangereux convoité par de mystérieux Allemands dans l'Argentine d'après-guerre : toutes les conditions semblaient réunies pour un grand film noir. Qu'est-il arrivé, alors, à l'idée de départ pour que sa fascinante obscurité palisse et se dilue lentement dans la permanente répétition d'un scénario creux ? Rita Hayworth. Non, à vrai dire, le 20ème siècle, et sa pauvre considération des femmes dans le cinéma. Rita Hayworth aurait pu être grande, au lieu de cela elle s'est abaissée au rang d'icone, d'icone érotique, sexuelle, dont ont tant souffert d'autres grands noms tels que Marilyn Monroe ou Kim Novak. Si ce film est un classique, il ne l'est que par elle, il n'existe que pour elle, mais elle, finalement, n'existe pas. Quelle profondeur a son personnage ? Quelle intelligence, quelle liberté, quelles caractéristiques existent à Gilda qui permettraient de la distinguer de l'objet, de l'enfant ou de l'animal ? Quelques unes, une vulnérabilité touchante, la déconstruction d'une force factice et une répartie sagace, mais ce sont de maigres qualificatifs pour un protagoniste, qui n'existe que comme balle de tennis éternellement renvoyée d'un homme à l'autre. L'analyse psychologique de son manque de confiance, de son besoin clinique de l'autre pour subsister, alors, aurait été magnifique, et juste. Au lieu de cela, le film tourne au rose, autant le rose de l'érotisme permanent qui illumine l'écran, que celui d'une fin bâclée et enfantine, facile et sans grand intérêt. L'érotisme n'est en soi pas condamnable, c'est seulement dommage qu'il constitue l'unique profondeur de ce film, qui n'a de noir que la moitié du format. Il n'y a pas vraiment de tension, ni de noirceur des personnages, et si la réalisation sait indéniablement mettre en valeur son actrice, elle demeure assez classique dans les scènes qui ne l'incluent pas. Aucune des sous-intrigues grondant dans l'ombre du casino ne permet de lancer le scénario et de l'élever à de plus grandes ambitions ; le film préfère tourner en rond, offrant une suite de mêmes scènes dont la qualité de l'écriture et du jeu satisfait, mais ne fascine plus. Vidor a réuni comburant, flamme et combustible, mais le feu ne prend jamais, les pistes ne se croisent pas, et la flamme (à l'évidence Rita Hayworth) finit par manquer de matière filmique à brûler et s'essouffle dans le rôle trop redondant de la séductrice.

La romance, cependant, est assez intéressante ici. Du moins, encore une fois, dans l'idée ; car si leur relation d'amour/haine est d'abord sulfureuse, elle n'évolue jamais, demeure plate du côté de la haine pendant tout le film, jusqu'à chavirer brusquement, maladroitement dans l'amour, presque sans raison, d'une manière si peu naturelle que la salle n'a pu s'empêcher de rire. Pourtant, c'est une évolution qu'il aurait été passionnante de voir au cinéma, déconstruisant le poison amoureux et le spectre de la haine dans une fine analyse du cœur humain. Le film s'essaye faiblement à cette approche, mais se perd toujours dans la sexualisation à outrance de son actrice, n'offrant finalement que du désir et non de l'amour. Autant assumer, dans ce cas, que l'on ne sert que de l'adoration du corps féminin, et supprimer les sous-intrigues plates, parasites de notre attention, qui n'aboutissent jamais. Ou, option préférable, choisir d'humaniser l'objet qu'est Gilda en un personnage utile aux sous-intrigues, et les développer ensemble pour construire un vrai, grand film noir.




Alexandre Nizri-Bidon.

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