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François Truffaut : l’ultime documentaire d’un homme et cinéaste qui ne cesse de fasciner



FRANÇOIS TRUFFAUT, LE SCÉNARIO DE MA VIE - David Teboul, 2024



Truffaut. Emblème du cinéma français, précurseur de la Nouvelle Vague, un cinéaste autodidacte avec un penchant assumé pour l’autobiographie. Ce personnage, on le connaît. Exploré au travers de dizaines de documentaires et biographies, le réalisateur n’a plus de secret pour nous. Pourtant, quarante années après sa mort, un énième documentaire voit le jour à l’initiative de David Teboul. Ce dernier est confiant et affirme un caractère inédit, contrastant avec les précédentes réalisations. Selon lui, aucun regard n’est donné, c’est simplement Truffaut qui s’exprime. Ce n’est alors pas un « film sur » mais un film à la première personne, une rencontre. Néanmoins à l’écran, ces propos sonnent plutôt creux.




Disparu depuis quarante ans, ce n’est plus qu’au travers de souvenirs et archives que l’on retrouve François Truffaut. C’est ainsi la base principale du film, avec des extraits vidéos globalement connus, notamment l’excellente Leçon de Cinéma (1983, TF1). Agrémentées à celles-ci, de nouveaux documents surgissent, notamment des archives sonores . Tout amateur du cinéaste se voit alors comblé de découvrir ces fragments inconnus, enfouis dans des recoins encore inexplorés, comme une résuréction. Cependant, caractère inédit n’implique pas systématiquement connaissances nouvelles. Mais là est tout l'enjeu d’un documentaire n’est ce pas, sinon à quoi bon dévoiler ce que l’on sait déjà? Et c’est bien ce que l’on se demande ici face à cette promesse de découvertes. Le portrait reste le même, un mélange calculé de sérieux et maîtrise avec humour et liberté. Et au milieu de tout cela, le doute. Enfin, c’est là que le film devient intéressant. 




Traité dans les premières séquences de manière très lointaine et dénué de complicité, François Truffaut n’est filmé qu’à la manière d’espèces rares dans les documentaires animaliers. Heureusement, le documentaire gagne en pertinence par la suite, troquant ces multiples archives vidéos pour délivrer les intimes pensées du cinéaste sur des années de correspondances franches et sensibles. Intime, c’est bien le mot qui survole l’entièreté de ce documentaire, divisant. D’une part, une barrière est franchie, le spectateur accède à des réflexions qui ne lui ont jamais été destinées, développant une certaine gêne face à ce voyeurisme involontaire. D’autre part, il serait hypocrite de démentir toute responsabilité, le film annoncé d’avance riche de confidences. Ainsi, on se laisse prendre au jeu et replonger dans la vie d’un homme troublé et touchant.



Réanimé par la voix de Louis Garrel, amusante résonance à son interprétation de Jean Luc Godard (Le Redoutable, 2017), Truffaut livre ainsi doutes et idées dans un florilège de lettres dont la conservation jusqu'à maintenant annonce déjà sur l’homme qu’il fut, sa minutie, son entourage. Ces dernières s’adressent à de proches amis, tels que Robert Lachenay et Serge Toubiana, ainsi qu’à son père, qui occupe une place centrale du film. Pour rappel, le jeune François découvrira soudainement son adoption par ce dernier, ce qui nourrira en plus de tendances délinquantes, mal être et colère envers ses parents avec qui il ne cessera d’entretenir une relation conflictuelle.

Ces correspondances s'entremêlent justement aux extraits de ces premiers films, dont son premier long-métrage Les 400 coups, avec une représentation crue de ses parents, enfin, ceux d’Antoine Doinel… Succès indéniable du Festival de Cannes en 59, c’est bien le contraire qu’éprouve ses proches, blessés (légitimement il faut leur accorder, quoi que sûrement bien mérité). Ce qu’on apprend alors dans cet échange épistolaire va plus loin: l’imminente réaction glaciale de ses parents ne fut non pas le fruit du visionnage du film, mais uniquement d’un brouhaha de retours hyperbolés qu’il provoquera. S’en suivra des lettres moins tendues mais sur lesquelles un fond d’amertume ne cessera de planer.



La figure du père est aussi incarnée par François Truffaut, lui-même parent de trois filles,

dont une dernière qu’il ne connaîtra qu’une année. Bouleversant, cette dernière symbolise le combat que le cinéaste mène contre la maladie, avec l’ultime volonté de (sur)vivre juste assez longtemps pour la voir naître. Face à la tristesse de ce destin tragique, leurs correspondances, notamment lors de son aventure américaine, sont riches de légèreté, d’amusement et surtout d’amour. Un homme à l’âme d’enfant animé par l’amour qu’il porte aux autres, un portrait qui pourrait aussi être dressé à bon nombre de ses personnages. Cepandant le film, se basant sur le projet inachevé de Truffaut et Claude de Givray (ami d’enfance) d’écrire ses mémoires “Le Scénario de ma vie”, reprend sa part d’obscurité en revenant sur le sujet de sa douloureuse fin de vie. Et quand alors, il n’y a plus qu’au présent qu’il faut songer, l’éternel insatisfait ne peut cesser de ressasser le passé duquel émerge un sentiment général de culpabilité. Ce portrait paraît bien sombre et pourtant, on ne peut s’empêcher de sourire face à cet homme sincère et aimant. 



Au final, malgré des longueurs et passages redondants, ce documentaire conquit dans l’ensemble, sans pour autant dominer de loin ses prédécesseurs. La vie riche et tragique de « Frank Truff » alimentera jusqu’au bout son œuvre aussi bien à l’écran qu’à l’écrit , et ne cesse toujours pas aujourd’hui d’animer une génération de cinéphiles laissés orphelins.







Clara Esslinger









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