top of page

Faye, de Nicolas Bouzereau : Faye done her way

Être festivalier à Cannes, c'est une sensation très étrange : dans le courant d'une journée normale, il n'est pas rare de croiser des visages que l'on ne connait que comme représentations, qui sont presque en eux-mêmes des fictions tant on ne les connait que comme fait représentatif. Cannes est à la fois le lieu de la starification, et en même temps un des endroits où la star prend chair, se réhumanise au coin d'un couloir du palais, apparaît comme un être humain normal. Alors forcément, quand on voit en salle Agnès Varda une légende d'Hollywood comme Faye Dunaway, c'est un petit bouleversement qui se produit, tant c'est un visage important du Nouvel Hollywood : Bonnie Parker herself face à soi, avec quelques années de plus, maintenant une vieille dame, peut-être un peu assagie mais toujours la langue pendue et le verbe haut, pour présenter à Cannes Classics un documentaire HBO réalisé par Nicolas Bouzereau.

 

Que ce soit posé : le documentaire sur le cinéma est une forme très balisée, avec son lot d'interviews, d'anecdotes hagiographiques, une narration assez linéaire, et qui dans ses cas les plus faibles apparaît comme une fiche wikipédia lue par ses sujets. Et de fait, Faye, c'est un peu ça : retracer la longue et belle carrière de Faye Dunaway, avec en guest stars ses proches, ses amis, des spécialistes de la question comme des critiques ou des universitaires. La forme n'est pas révolutionnaire, loin de là, mais c'est tout à fait bien tenu, bien rythmé, et le documentaire de Nicolas Bouzereau est un très bel écrin pour une actrice dont la carrière elle-même relève d'un intérêt assez indéniable. Deux choses tiennent ainsi l'attention dans le film.

 

Premièrement, les anecdotes racontées sont toujours stimulantes, notamment l'une d'entre elles portant sur la photo de l'actrice avec son Oscar pour son rôle dans Network de Sidney Lumet, photo qui fait l'affiche du film, et qui porte en elle une narration passionnante : on y voit Faye au bord de la piscine de son hôtel, assise au dessus des articles de presse, l'air mélancolique face à son Oscar posé sur une table, une image qui dit l'épuisement face à une industrie hollywoodienne toujours plus demandeuse envers ses comédiennes (Coralie Fargeat l'a bien moqué dans son The Substance, présenté en compétition), qui dit aussi la lucidité d'une comédienne réputée pour être tant une bourrelle de travail qu'une personnalité intransigeante et tumultueuse, ce que l'on voit répété à moult reprises dans le documentaire.

 

Secondement, et c'est peut-être là la plus belle qualité du film, la personnalité de Faye Dunaway achève de faire du documentaire un plaisir de visionnage. Alerte, acerbe, acérée, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire une comédienne qui, malgré son grand âge, ne se laisse pas mener à la baguette et prend le contrôle dès qu'elle le peut, alors même qu'elle est pour la première fois face à une caméra de cinéma sans avoir à incarner de personnage. On découvre ainsi une vraie comédienne de composition, largement différente de ses personnages : Faye n'est ni Bonnie Parker, ni Diana Christensen, ni Vicki Anderson. Tous ces personnages sont un peu elle, mais elle n'est aucun d'entre eux, sa sensibilité et parfois (souvent) ses failles posées au service des metteurs en scène, des personnages qui l’ont faite passer, sans doute à tort, pour froide et calculatrice. Faye apparaît ici comme une actrice brillante mais fantasque, essayant de se dérober à un Nicolas Bouzereau certes en admiration face à l’une des plus anciennes stars qu’on ait vues cette année à Cannes (Bonnie and Clyde a quand même presque soixante ans).

 

Alors calibré, Faye (le documentaire) l’est certainement, mais Faye (la comédienne), elle ne l’est pas du tout. Et si sa place dans l’imaginaire collectif a tendance à s’étioler, hélas, ces jours-ci, à mesure que les gloires de l’actrice reculent lentement vers le passé, le film de Nicolas Bouzereau a le mérite de constituer une piqûre de rappel pour le cinéphile distrait, et de nous rappeler qu’il faut voir, revoir, et revoir encore, ces monstres sacrés que sont Bonnie & Clyde, Network, Chinatown, et de façon générale toute une filmographie où Dunaway excelle et irradie. Et si il fallait lui trouver un point commun avec celles qu’elle a interprétés, c’est une absolue capacité de bouleversement, mélange d’un sens aiguisé du contrôle et d’une sensibilité exacerbée qui subsistent plus que jamais du haut de ces 83 années de vie.


Cyriaque Onfray

Comments


bottom of page