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Camp de Thiaroye, Cinéma et Panafricanisme.

La sélection Cannes Classics ne déçoit jamais. Outre les classiques retrouvés, la sélection permet aussi de creuser le filon de filmographies de réalisateurs cultes, d’aller plus en profondeur, y fouiller les moindres recoins pour trouver des pépites méconnues, et peut-être mieux y  lire le geste d’un cinéaste.

Cette fois-ci, toujours en salle Buñuel, des cinéphiles du monde entier étaient prêts à redécouvrir Camp de Thiaroye du regretté Ousmane Sembene. Ce dernier, figure tutélaire du cinéma Africain, est surtout célèbre à l’international pour La Noire de, le premier film de fiction d’Afrique subsaharienne. Mais sa carrière ne peut évidemment se limiter à ce seul coup d'éclat puisqu'il porte tout de même sur ses épaules une carrière longue de 40 ans. Il a notamment réalisé ensuite Ceddo, génial film en costumes qui dénonce les invasions catholiques et islamiques au Sénégal du 17ème siècle. 10 ans après, il réalise Camp de Thiaroye. Ces deux films s’inscrivent dans cette lignée de vouloir raconter l’histoire du Sénégal et du peuple Africain. D’essayer, grâce au cinéma de se réapproprier son histoire, de changer le narratif imposé par les dominants dans les livres d’histoire.


Camp de Thiaroye est avant tout la promesse du panafricanisme. Idée notamment que la solidarité entre les pays africains permettrait au mieux de lutter contre l'influence des puissances extérieures. Une influence qui  s’exerce aussi dans le cinéma. Etre capable de porter un autre point de vue sur le monde. Ne pas laisser les mêmes nations avoir le monopole du discours, du discours sur les images. Cette promesse se lit d’abord dans la production du film. En effet, Camp de Thiaroye a été financé grâce à l’alliance de l’Algérie, la Tunisie et le Sénégal. Il montre que l’Afrique est capable de produire du cinéma local, sans d’aides extérieures. Malheureusement et encore maintenant le cinéma africain (hors quelques exceptions) reste trop dépendant de financements étrangers. Ce film ouvre donc la voie, essaye de réinventer un système, et montre qu’un cinéma exigeant et populaire est possible. D’un cinéma fait par des africains et pour des africains. 


Camp de Thiaroye aborde un fait historique encore trop oublié. L’histoire de tirailleurs sénégalais en 1944 à la sortie de la guerre. Attendant dans ce camp leur démobilisation, alors que la tension monte car ils réclament leur solde, l'armée française va tirer le feu et tous les massacrer. C’est ce qu’on appelle le massacre du Camp de Thiaroye. Ousmane Sembene va mobiliser cette histoire, cette tragédie pour filmer un puissant pamphlet marxiste et anticolonial.


En effet l’ancien étudiant de cinéma en URSS , aborde cet histoire sous un prisme systémique et donc marxiste. Il montre les rouages d’un système colonial et raciste, les rapports de pouvoirs qui s'exercent au sein du camp. Le film étonne d’ailleurs par le ton général dans lequel baigne le film. Malgré l’histoire tragique, celle du massacre de Thiaroye, le film de Sembene prend l’apparence pendant une grande majorité du temps à une comédie légère sur la vie du Camp de Thiaroye. Le film  multiplie les traits d'humour, caricature ses personnages. 


Quelle étrangeté d'ailleurs de voir un film où les représentations des blancs et des noirs sont autant subvertis. Le militaire blanc, normalement figure de l’autorité est ici ridiculisé et  ressemble plutôt aux personnages de la 7ème compagnie ; alors que le noir brille par la multiplicité de sa représentation sans jamais être caricaturer. Du noir “occidentalisé” qui parle un français parfait, au noir africain qui ne maitrise pas un mot de français. Ce qui les rassemble c’est leur solidarité face au dominant. 

Dans ce lot de représentations étonnantes on ne peut oublier Pays, personnage inoubliable du film. Il est dans l’incapacité de parler à cause des horreurs qu’il a vécu à la Guerre. Ce dernier incarne véritablement le cœur du film. Rendu fou et muet, il symbolise une Afrique muette, une Afrique meurtrie par ce qu’elle a subie. Malgré cela il est un personnage positif, jamais moqué par ses pairs, qui comprend avant les autres le destin tragique qui les attendra.

Pays symbolise véritablement le geste de Sembene. Le geste d’un cinéaste qui veut aller de l’avant en s’aidant du passé, de se réapproprier une histoire volée. D'exorciser par le cinéma ce qu’a vécu le peuple africain.


Théo Dixmerias

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