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Rendez-vous avec Meryl Streep : force, humilité, et sens de l'humour !


Un évènement attendu, jusqu'à la gare maritime depuis l'entrée de la salle Debussy, le "rendez-vous" avec Meryl Streep n'a pas déçu ! L'actrice, hilarante et touchante, réussit à arriver avec "une gueule de bois" et à tout de même conserver sa classe, à convier une apparence de stabilité, de confiance et de respect pour le public, qui l'accueille sous une pluie d'applaudissements. Car ce n'est pas, comme l'a rappelé Didier Allouch avant son arrivée, une Masterclass ; et cela, Meryl Streep n'a cessé de le prouver en redescendant constamment du piédestal sur lequel il la posait parfois, toujours proche du public à qui elle s'adressait directement, sans donner de leçon ni se perdre dans les hauteurs et les excentricités offertes par sa célébrité.


"Je ne suis pas une rock star"

Ceux qui étaient venus voir les façades dorées et les secrets de star pouvaient partir - et certains l'ont fait -, car Meryl Streep n'a pas délivré des potins de tournage ni fait étalage de sa gloire, devant même parfois, et toujours adroitement, rediriger des questions qui y menaient un peu simplement pour se permettre d'aborder des sujets plus triviaux mais bien plus importants. Lorsqu'on lui demande quelle était sa réaction à sa réception du prix d'interprétation féminine à Cannes lors de sa première venue en 1989, plutôt que d'aborder l'évidence de l'émotion et du succès, l'actrice avoue ne même pas s'en souvenir ! En effet, un souvenir plus marquant de la période a confirmé, selon elle, qu'elle n'était pas une rock star : on lui avait conseillé neuf gardes du corps, ce qu'elle trouva d'abord ridicule et démesuré. "Il en aurait fallu une douzaine", ajoute-t-elle ensuite avec humour, évoquant son angoisse de certaines situations liées à la célébrité, qui ne valent pas la tranquillité, "le calme" de sa vie quotidienne auprès de sa famille. "Les femmes aujourd'hui ont de plus en plus leurs propres sociétés de production, et c'est une énorme avancée. Moi aussi j'en ai une. Les bébés", continue-t-elle pour amuser l'audience, mais aussi évoquer les difficultés de lier travail et famille, surtout avec un tel métier. "Les enfants, c'est un job à plein temps", ce qui l'empêche de mettre à jour sa culture cinématographique, au risque de "passer pour une connasse" auprès des cinéastes avec lesquels elle a déjà travaillé et dont elle n'a pas eu le temps de voir les dernières œuvres !


Engagement féministe et ouverture sur le monde

Une grande partie du "rendez-vous" était marquée d'un profond engagement féministe de l'actrice, et pas forcément en réponse à des questions qui interrogeaient cet aspect ! La première remarque commence, alors que Didier Allouch lui demande comment elle explique qu'on ne retienne qu'elle dans des films où elle n'apparait que quinze minutes à l'écran, suggérant d'abord son talent ou son magnétisme comme causes. Meryl Streep ne répond d'abord rien, puis lance : "c'était juste l'époque où il n'y avait qu'une femme par film. Alors évidemment on la retient". Une réponse intelligente grandement applaudie, qui contient à la fois l'humilité de ne pas se justifier par son talent comme c'était proposé, et la force de dénoncer une vérité silencieuse écartée de la question. Ces instants d'engagement épars, souvent courts et non invités, ont su déclencher par quelques phrases sagaces les plus forts applaudissements de l'entrevue. Car si le festival affiche avec une fierté légitime son soutien à la lutte féministe, certains films de la sélection officielle ne sont pas exempts de misogynie, de transphobie ou d'homophobie, et Meryl Streep ose encore s'opposer à ce manque d'acceptation qui règne souvent dans le milieu du cinéma. "Nous sommes beaucoup plus semblables les uns les autres qu'on aime à le croire", ajoute-t-elle avec beauté en réponse à une question sur la diversité de ses rôles, et la différence entre ses personnages excentriques et ceux du quotidien. Pour elle, les plus irréels et monstrueux possèdent autant d'humanité que les autres, et, dépassant l'aspect concret de la question, l'actrice invite à une plus grande ouverture d'esprit sur le monde et l'altérité. Justement, à la question portant sur sa fluidité avec les accents, et à savoir si elle aime en employer pour donner une couche supplémentaire à un personnage encore indéfini, elle répond, encore une fois avec finesse, justesse et une pointe d'humour : "si j'avais seulement joué des femmes du milieu du New Jersey, je ne serais pas là aujourd'hui". Meryl Streep insiste encore sur l'importance intellectuelle et l'intérêt artistique de la découverte d'autres horizons, et d'autres personnes, qu'elle aime interpréter à l'écran. Cette interrogation sur la différence l'a menée jusqu'à une analyse intéressante du rapport des spectateurs aux œuvres en fonction de leur genre. En effet, Meryl Streep estime qu'il est beaucoup plus dur pour un homme de s'identifier à un personnage féminin qu'il ne l'est pour une femme à un personnage masculin. Les femmes ont, selon elle, une compréhension moins genrée des personnages, auxquelles elles peuvent plus simplement s'identifier, alors que les hommes conservent, jusque dans la fiction, une très forte frontière entre les sexes, ce qui réduit leur capacité d'identification aux rôles principaux féminins.


Conseils d'acteur

Meryl Streep offre également quelques classiques anecdotes toujours plus cocasses les unes que les autres : ça commence par des hippopotames dans la rivière sur le tournage d'Out of Africa pour finir avec la reproduction sur Didier Allouch du massage crânien de la même scène qui l'avait détendue après cinq ou six prises au point d'oublier les animaux sauvages en amont. Massé par Meryl Streep, c'est pas tous les jours ! Mais au-delà de ces anecdotes, l'actrice a abordé la question des cours de théâtre, qui ne lui ont finalement pas été très utiles, car elle a l'habitude de ne lire qu'une fois la scène, et d'arriver, page blanche, le lendemain sur le plateau, et de conserver une certaine spontanéité. Ses professeurs se faisant virer chaque année et remplacer, elle a eu trois méthodes différentes à apprendre, qui ne lui servent, finalement, qu'à s'empêcher de tuer le réalisateur après la 70ème prise d'une scène où elle doit simplement sortir d'une voiture et dire deux mots mais le fait apparemment mal. Elle enseigne également une leçon d'humilité et d'écoute, car lorsque Didier Allouch fait remarquer que la scène finale de Le Choix de Sophie a été tournée en une seule prise, elle répond : "non. Deux. Car la première, la petite fille ne savait pas qu'on allait la prendre, et sa réaction était comme un réflex étonné. Mais à la deuxième, elle savait, et c'est sa réaction qui est importante dans cette scène, qui est déchirante". Encore une fois dans une question portant sur son talent, Meryl Streep parvient à faire parler de ses partenaires de jeu et non d'elle-même. Un dernier conseil avant la standing ovation finale, qu'elle adresse aux étudiants acteurs de la salle : "gardez espoir, n'abandonnez jamais, il suffit d'un rôle"...







Alexandre Nizri-Bidon.

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